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Hommages à Pierre Colin

de Claude Niarfeix

à Pierre Colin

Longtemps encore nous suivrons le parfum des mots

l'ivresse de l'écume

à s'en éclabousser le corpsPagTitPColin.jpg

longtemps encore nous marcherons

le long de l'aube, là où viennent et reviennent les vagues et les soupirs.

Nos souffles iront au loin ouvrir des brasiers de lumière

et nos lèvres auront des murmures la tellurique hypnose

et la lente scansion.

Nous aurons dans la voix

la limaille des embruns

et les cris des oiseaux

et toutes les lucioles des soirs d'été.

Ne jamais oublier un seul instant

de parler de celui qui s'éloigne

d'en parler à l'arbre et au vent.

Tout est étreinte

et nos yeux n'en finissent jamais

de dévorer l'ombre et la nuit.

salut à toi, Pierre,

salut et fraternité.

mai 14

de Dominique Grandière

à Pierre Colin

 

Le poète Pierre Colin nous a quittés le cinq mai.

L'homme qui n'aimait pas les longs voyages en train de nuit entre Tarbes et Paris ni les palabres dans la fumée des cigarettes, mais qui était là, toujours, intensément. Qui intervenait dans les réunions sur un mode inhabituel, mettant du trouble là où nous cherchions la transparence. Qui accueillait avec ce même trouble la folie et la raison, le mythe et la science. Qui feignait de ne rien comprendre à une chose, et tout à coup en dévoilait le coeur en trois mots. Qui possédait de fortes amitiés et des haines vivaces. Qui savait tant et tant de poésie par coeur et qui jouait à nous piéger. Qui avait construit pour les petits enfants une cabane à poèmes ou s'ébattait la Gremuse, bête fantasque née de la semence du langage. Qui ouvrait sa maison, ses livres, sa pensée, ses sentiers de balade aux amis qui passaient.

Pierre des secrétariats et des bureaux nationaux, Pierre des Universités d'été et des Congrès du GFEN, des séminaires du Secteur Poésie, Pierre de Moscou, de Tarbes, de Toulouse, de Bordeaux...

... des villes réelles, bâties selon des données cosmiques,chacune ayant une nécessité, une vie pro- pre. Chaque ville était marquée par une musique intime. Paris était Beethoven, la romance pour le violon. Toulouse était immergée tout entière dans la nuit du piano bien accordé de La Monte Young, Quimper, la ville au bord du Steyr, était la splendeur, la beauté noire des partitas de Bach, ce violoncelle sans pays qui court dans l'âme humaine, comme un loup dans la steppe... (S)

Le travailleur obstiné, patient, qui introduisait ses petits blocs d'écriture noire dans tous les espaces des grandes fresques affichées sur les murs des salles de réunion, le brasseur de textes qui fit vivre longtemps la revue Cahiers de Poèmes. Pierre le combattant.

Ci-dessous, Atelier Pronoms «Moi, l’espace perdu» : cinq pages manuscrites de Pierre Colin, Glyphes n°7 - 1981 :

manuscrit 1            manuscrit  2             manuscrit 3            manuscrit 4           manuscrit 5

Pierre des grands ateliers d'écriture où les mots domptent les mythes sauvages et leur donnent à manger des nourritures modernes, Pierre et ses complices de l'aventure partagée des ateliers. Pierre qui fait un pas de côté et crée Thot'm, avec sa femme Maïté, pour nouer la création et le temps, la construction d'un savoir et la folie d'écrire. Pierre qui n'est pas un héritier, qui a conquis sa langue et sa pensée à la force du rêve, et qui veut rendre au centuple ce qu'il a reçu.
Pierre qui savait rire nous a quittés.

...J'ai festoyé. J'ai combattu. Sur des peurs par milliers, sur des plaisirs sans nombre, j'ai régné. J'ai triomphé, j'ai festoyé. Je me suis souvenu. J'ai combattu. J'ai dit les mots. De mon corps, j'ai fait d'autres corps. Première vie, tout est musique. Deuxième loi, guerre et cruauté. Passeur d'hommes, j'ai été... (M)

Nos souvenirs ne sont qu’un peu d'écume sur la vague de sa poésie. Plongeons.
L'écriture foisonne, ne se retient pas. Elle se précipite sur tous les écueils, s'y brise et les enveloppe, les change en vols de grues, en meutes de chiens, en troupeaux d'aèdes, en palinodies sauvages ...

...J'écris partout, dans les arbres, dans les lavoirs, dans les miroirs. Debout. Assis. J'écris vite. Des pages et des pages... Puis tout s'efface. Les petits personnages (les lettres) sont submergés par la vague ancestrale, la faim du jour... (S)

...j’avance dans la fureur cosmique des mots en irruption blanche, rivée au ventre, moi générant l’ouest, ses pluies repluies, brouillards de ténupurgies, faulches, ras d’îles rouges, reines, riennes, chiennes, bleuvoir, hurler, la mort, les mouettes, les toleils...(S)

Le Je de Pierre Colin est un Nous, perpétuel, inépuisable. Il jaillit et rejaillit ; dans son texte, le Je ne contemple pas, ne mémoire pas, ne signe pas: le Je engendre. Ainsi il bascule dans le nous, un nous tissé de mythes, d'histoire et de verbe,

...dernier soir où j'ai mis ton nom dans ma bouche Et il avait ce goût de peuple ancien, tout ce qu'un feu de lèvres fait du temps... (B)

...Je suis un homme de grand chemin, un grand loup du désastre. Nous nous connaissons bien, en grand deuil, dans le terrier des foules, liés à l’errance du fleuve, ce que les arbres nous ont pris, renversement du souffle et des tempêtes, nids de femmes, répétition des serments dans les gouffres. Tout n’est que hordes, fauves sortant du corps... (B)

...nous savons tous que les mots sont fossiles
écailles d’un autre âge...
(B)

La poésie ouvre sur le monde les cinq fenêtres du corps. L’oreille est ouverte aux musiques de Bach à Bill Dixon, aux cris des bêtes volantes, proies ou prédateurs, au frôlement du renard dans les fourrés, au fracas des vents le long des rivages, aux vacarmes des armes, aux grincements de la ville, aux bruits humides produits par les corps en amour. L’oeil saisit le bleu du monde, l’azur, le lilas ; le vert de la saison qui change (Un vert d’alcôve où l’oeil coule et se ferme, fleuve et forêt. Heure verte à travers les paupières, les brèches du cri)(B), le noir de tout ce qui gronde en arrière de nous - est-ce l’oeil ou l’oreille qui voit le violoncelle rose et noir ? Le nez plonge dans l’odeur de la mer et des vies qui l’habitent, telle jeune fille est composée d’odeur : sa bouche a l’odeur forte des figuiers, ses seins légers sentent la mûre, son ventre exhale le pollen, l’odeur de souffre et d’encens (S) car... le poète, qui n'a qu'un nom, vit de son corps...(B)

Le corps du monde est sexué. Les mots précis du sexe désignent les objets du monde, sont le sixième sens du corps avide du réel avec lequel il se bat. Etranger tout à fait par nature à l’écoeurante pruderie victorienne qui nous menace de nouveau, le poète dit et redit, répète et hurle le désir du corps, les caresses, les pénétrations, les liquides, les explosions des corps emmêlés, y enchevêtre toutes les parties, tous les sens, toutes les bêtes de la terre.

J’écoute dans le glauque, l’opaque du coeur, ça bat, ça tripe, ça dégouline, nids d’étreintes, vieux zéphirs, celles qui chantent leurs naissances de végétaux obscurs, les petites taches, touches sur la peau qui clapote à hauteur de rein, je revois ces litières où nous avons jeté nos encres de pieuvres douces, ça hanche, ça chevelure, ça vulve...(S)

Et il y a les mythes, qui nous lient aux premières paroles, aux premiers rapts, aux premiers meurtres, aux premiers amants. Les mythes que Pierre Colin rencontrait comme on rencontre les nymphes et les anciens dieux évanouis, au pied des arbres tordus par le vent de mer, à Ithaque ou à Douarnenez, dans les auberges de chaux blanche ou dans les courtes maisons de granit gris. Des mythes que la parole poétique fait surgir dans le temps présent, pour nous aider à lui donner du sens.

...Un peu plus bas, la terre de Laërte, envahie par les chèvres, n'est plus qu'un amas de pierres et d'oliviers béants aux coeurs brûlés, exhumant le secret des mots. Nous chercherons longtemps cette profération sans origine, d'un désir l'autre, d'un siècle l'autre, dans la géométrie des rêves et de la mort... C'est dans l'incertitude, sans garantie d'aucune volupté, qu'il nous faut à présent réenchanter la vie... (1989) (1)

Templiers du minimal, gourmets de la biscotte sans beurre, ravis du mur du fond qui est un mur de chaux, techniciens de l’équation poétique, râpeurs du mot plat — passez votre chemin, ne lisez pas. Pierre ne vous aimait pas ; ses proférations sans pudeurs apprises, l’énergie formidable qui emporte sa parole déplace la question poétique de la forme vers l’existence.

...Je veux une écriture violente, qui parle du réel, du sens et du non sens, de la beauté et de l’horreur, de la vie et de la mort, de l’amour et de la haine, du silence et de la folie. C’est dans ces paroxysmes de l’âme humaine que tout se joue. La création est un combat prométhéen avec la chair rebelle de la langue.(...) Le poème n’est ni beau, ni laid, il invente l’éternité...

C’est à cette temporalité qui compte en siècles qu’appartient l’oeuvre de Pierre. Les grands feux de l’imaginaire se rallumeront un jour sur les plages. Pour que les enfants n’en soient pas dévorés, mais pour qu’ils s’y réchauffent, nous avons besoin des poètes qui mettent le feu à la langue, et dont les braises couvent longtemps.

Finissez sur une phrase de Valère Novarina (la centième didascalie de Observez les logaèdres !): «Ce qui libère la raison, ce qui l’accomplit et poursuit son travail encore plus loin, est un instant la mort de la raison. La saisie fugitive d’un temps non chronique et absolument vertical! d’un autre temps sous le temps... Le temps comme un puits tout à coup


Dominique Barberet Grandière
6 mai - 29 mai 2014
 



1 - Ce texte ouvre le recueil «Monde aux Yeux Brefs» et y est daté de 1992, mais il est présent dans Grèce Oscure, le100ème ouvrage de Lieux, une collection d’Encres Vives, la revue de Michel Cosem, où il est daté de 1989.

(M): Monde aux yeux brefs, la loi du corps, Les Solicendristes, Juillet 1995
(S): Le retour à Sumer, La Bartavelle Editeur, collection «modernités» 2001
(B): Je ne suis jamais sorti de Babylone, Multiples , Collection Fondamente, 2008

d'Yves Béal à Pierre Colin

Saint Didier de Bizonnes, le 7 mai 2014

Pierre,

C’est avec toi que j’ai fait mes premiers ateliers d’écriture. Ils ont marqué à jamais ma vie, m’ont poussé à poursuivre l’écriture, m’ont permis d’oser créer, avec les ami-e-s de Soleils & Cendre, une revue dans la filiation de ce « tous capables » dont tu fus l’un des plus ardents chevaliers. Une revue à laquelle tu es resté fidèle depuis le tout premier numéro paru en 1986. Et lorsque nous avons décidé de mettre en route la maison d’édition, « Les Solicendristes » en 1995, c’est ton livre « Monde aux yeux brefs, la loi du corps » qui ouvrit l’aventure.

Nous avons partagé tant de mots, tant de combats, tant d’aventures, depuis près de 35 ans. Je me souviens de notre voyage à Moscou ensemble en janvier 1992, nous écrivions nos poèmes au milieu de l’effondrement du rouble. Je me souviens des stages nationaux du secteur Poésie du GFEN et de magnifiques ateliers comme « Enigme », « le Disque de Phaïstos », « le Radeau de la Méduse » et tant d’autres…

 

Plusieurs fois, tu vins avec Maïté en Isère, chez nous, pour intervenir dans les classes de Bourgoin-Jallieu et des environs dans le cadre du projet « Correspondances Poétiques », animer pour les adultes, enseignants ou non, toujours avec cette même philosophie du « tous créateurs » mais également sans compromis, c'est-à-dire toujours avec une parole personnelle, authentique, chaleureuse mais sans concession. Je me souviens d’une conférence que tu fis sous une chaleur étouffante devant plus de 120 enseignants un mercredi après-midi de juin, conférence qui, à la fois permit à certains de pousser plus avant le pari de la création avec les enfants et à d’autres de commettre une lettre anonyme pour dénoncer la mainmise du GFEN sur la circonscription. J’en souris encore.

Et aussi tu accompagnas et encourageas « l’aventure littéraire » de mon jeune fils, Nathanaël, à peine âgé de 6 ans, lorsqu’il entreprit entre 2002 et 2007, de créer lui aussi sa revue « Rien qu’une bulle de soleil bleu sur la fenêtre ». Régulièrement, tu lui envoyas des textes « Moi et mon chat » en 2003, « Lieux d’hiver » (extrait) et surtout « Nous n’irons pas au paradis, une joie comblée n’est pas une joie » en 2005. Texte qui répondait à l’enquête que Nathanaël avait lancé au numéro 14 en octobre 2004 : 1. La poésie, est-ce que ça change le monde ? 2. La poésie, est-ce que ça fait la paix dans le monde ? 3. Et dans votre vie, est-ce que la poésie vous sert à quelque chose ? Ta réponse parue dans le numéro 16 de mars 2005 valut un échange magnifique entre Nathanaël et toi à propos d’un erratum que tu tenais absolument à insérer et qu’il te contestait au titre que les mots appartiennent à tout le monde. Cela dura tout un mois d’échanges de courriels et de coups de téléphone. Nathanaël, alors âgé de 8 ans, ne voulait pas mettre d’erratum et l’assumait en tant que rédacteur en chef de la revue. En fait, je crois qu’il avait surtout envie de se faire convaincre et il était fier d’une discussion « pour de bon » avec un poète. L’erratum a bien été inséré dans le numéro d’avril. Tu disais que le titre était « presque une citation de Jean Malrieu ». Lors d’un échange téléphonique avec Nathanaël, courant mars, il se trouve que Josette Marty était présente chez nous. Nathanaël, juste après avoir raccroché, nous dit : « Pierre veut absolument qu’on dise que son titre est de Jean Malrieu, il exagère, les mots appartiennent à tout le monde ». Josette demande à voir le vers incriminé et dit à Nathanaël qu’elle pense avoir le recueil de J. Malrieu chez elle. De retour à Paris, elle lui envoie le recueil. Nathanaël trouve le poème et décide de mettre l’erratum, non sans te dédier un poème écrit en utilisant tous les mots d’un autre poème de Jean Malrieu… pour continuer la conversation. Le voici :

Le jour pioche le buisson noir

L’océan y tangue

Le gentil bélier apporte la vie.

Je tressaille.

 

La montagne achève les morts

Parfois, sur certains sentiers, on croise un peuple de fourmis

Nous sommes toujours en tristesse.

Je tressaille.

 

Il me faudrait la mer entière pour me combler

Je n’ai pas dans mon navire le bras qui déplace les terres

Nous savons saluer malgré les fournils.

Je tressaille.

 

Mais il est peu de jours de pluie pour bien des mondes légers

Bien des jours sans rivière pour faire tout un arbre

Une ombre beauté tiède réveille ma fougère.

Je tressaille.

 

Ce n’est pas assez d’un désespoir pour que le fardeau règne

Dans le cœur du déluge

Cœur battant malgré la nuit.

Nathanaël Béal

 

Je me souviens des jours passés ici, à St Didier de Bizonnes, plusieurs années de suite, toujours au printemps, nos discussions dans le jardin, toujours dans la passion d’une poésie à faire découvrir, lire, écrire à tous. Je me souviens de votre invitation pour un café littéraire à Tarbes, j’en ai été profondément touché.

Je me souviens de ma dernière soirée chez vous et de ton signe de la main au matin. C’était le 28 août 2011.

A Pierre,

Attends-moi camarade


Au milieu de la nuit, mille oiseaux d’impatience

Traversent l’accordéon chargé de mes désirs nomades

J’habite un pays étourdi, un pays de pâle soleil

Un pays sans fenêtre, sans mur, où il ne manque que toi

 

Dehors déroule à l’infini son cortège de soucis

Je dors inhabité dans un décor d’ennui

 

Je sais qu’il faut partir, affronter le silence

Vaincre la peur du jour, te chercher camarade

Au détour d’un désert, vautours, corbeaux, corneilles,

Vous m’appelez de vos cris, de vos comment, de vos pourquoi

 

Le cœur écartelé, sur la langue un poème

Un pavé en cordée, je vis de ce que tu sèmes

 

Attends-moi camarade, ensemble l’innocence

Nous donnera le monde, nous fera escalade

On écrira nos rêves en dehors du sommeil

On aura toute la nuit pour vivre, ensemble fiers et droits.

Yves Béal

de Jean-Guy Angles

à Pierre Colin

L'éternité qu'il m'a été donnée d'entrevoir en le croisant, est liée à la fécondité de sa transmission : suffisamment fragile pour être souvent à l'orée de quelque sentier ; suffisamment péremptoire pour donner, estompée la fascination du verbe, la mesure, la patience et l'urgence d'une relativité équivalente en exigence...

J-G. Angles

Henri Tramoy à Pierre Colin

Il dit son nom. Ce mot-moi où faire son nid et se bercer. Il dit les mots que nul n’a prononcés. Disponible (il) à tout mystère. Disponibles (ils) pour l’enfance entre les dents. Leur jeune bouche verte livre des millénaires de livres et d’oreilles. Il a l’automne au bout de la langue, joue à déjouer l’aurore. Il, vieux fleuve, et la sorcière. Ses mots sont des glycines. Ses couleurs ont le verbe haut (que le bleu troue). Il soulève la mer comme un drap. Il fait l’aumône au vent et reste emmitouflé de mots. Pour lui, la mer travaille. Un vieil éclair de langue tutoie ses rêves. Il trempe sa nuque dans les fleuves. Il parle au lilas blanc. Le vent pour lui se pend. L’aube lui offre ses golfes. Le sentier amoureux de la mûre l’égare. la beauté fuse.
Il dit son nom. Son nom lui sert d’étoile.

H.T. automne 1997


Date de création : 18/05/2014 18:52
Dernière modification : 11/06/2015 08:00
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