En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés.
Mentions légales.
 
 
 
Vous êtes ici :   Accueil » Parenthèse dispositif
    Imprimer la page...

Parenthèse dispositif

paru dans Soleils & cendre n°2 - déc. 1986

Rivages

 

RIVAGES

(écrit et parenthèse dispositif)

 

par Yves Béal

 

     Pas de regard sur le rivage.

     De la mer comme de la terre et jusque dans l'image interne quasi-spontanée — c'est façon de parler — qui se forme à l'évocation, à la provocation.

     Rivage est singulière limite mais limites plurielles et insaisissables qui s'égarent à l'infini des roches et des plages, des écumes et des vagues, de jusants et perdants — de victoires en défaites futiles, inutiles.

(1/ Formation d'une image mentale par concentration et/ou lecture)

 

 

     Ni prise sur la mer, l'amer, la mère, ni sur la terre (hormis cet ancestre amer qui permit à l'homme de terrir près Paris), ni sur la terre injustement dite nourricière.

     Simple et ô combien grandiose prise sur l'humanité, sa propre humanité, fabriquer, imaginer, construire — j'ai presque envie de dire computer — ce morceau de la mosaïque qui me fait prendre audace pour dépasser ma nostre animalité :

(2/ Laisser venir des mots… C'est le flux)

 

 

     Explorer les limites. Pas de cet aventurier dont l'aventure est une fin en soi. Uniquement, méthodiquement, conduire l'examen minutieux de la structure et des organes afin d'en fouiller la moindre parcelle d'étrangeté. De ces explorations à étourdir le commun. À rendre instable le plus petit équilibre. Nous enfermons la vie à parfaire l'équilibre et de l'instable naît la question qui fait vivre. Explorer et se déterminer déjà puis se déconforter encore.

(3/ Faire une chaîne idéelle — opérer un choix — première trace — à partir du choix effectué, nouvelles chaînes de sens puis nouveaux choix — érosion)

 

 

     Rivages sont les eaux, rivages sont les pierres,

     Mots qui traînent sur le sable leur carapace d'humanité et inscrivent dans le grain les entre-lignes du monde, les cris des hommes et les rêves et les grèves et les rires énormes

     Lettres brèves de ce qui subsiste du passé et se dépose (juste) jusqu'au centre des choses.

(4/ Développer le pôle matériel — chercher ce qui résiste)

 

 

Échancrures de sens

à "sous le vent" tous les dessous d'absence

inscrivent maintes redondances

traces intimes du temps

où, "sur le sang", tous les signes imprègnent

de rebelle impatience

les instants de terre et d'eau.

(5/ Texte de flux)

 

 

     Merki, où la marque — en norrois — invite à sonder ce qui reste accroché entre marine et poussière, ce qui résiste à l'usure des sens.

     Mieux, traquer : ce que toutes dictatures ont tenté d'éliminer — autant pour celle de l'ordre écrit qu'on a tenté plus haut de lire et d'asservir — la fibre sauvage qui fait l'homme rebelle à l'oppression.

     Traquer cette sorte d'épiphénomène, ce résidu d'humanité qui se dépose à la grève du texte, cet entrebaillement d'un cri, pour s'ouvrir la conscience jusqu'à révolution.

(6/ Éliminer du texte tous les mots provenant du flux précédent jusqu'en 4/ — ne garder que ce qui a été rajouté)

(7/ Repérer la matière de résistance de ce qui reste — lettres, assemblages de lettres)

 

 

     Et rendre — en conscience c'est-à-dire dans un rapport transformé — à la langue, son arbitraire,

     Et par-dessus ce pouvoir, se forger le trait d'une écriture de résistance capable de muer une espèce de marée descendante en nouveau mouvement ascentionnel.

(8/ Former des chaînes à partir de ce moyau matériel)

 

 

Ce chant cru redescend

sas aux assauts de soleils, levant

Tolède et ces lieux où l'on danse

écharpe autour des hanches

d'une saoûle élégance

Elle, est-ce déesse, telle qu'elle délaisse,

délasse, délie, dévie ces vagues dérives

en suites d'empreintes indélébiles,

résidus d'une gigantesque et infime combustion,

agonie, couche après couche,

d'une multitude d'intervalles de civilisations

(d'une multitude d'intervalles de significations)

qui s'égrènent en chapelets de traits,

de tris, de cris, de cendre. Humanitude.

(9/ Texte de reflux)

 

Y.B. - 31.X.86

 

Ce texte (cet ensemble de non-textes, pré-textes et parenthèses) constitue la première contribution, publiée par la revue, de l'un de nous à ce que nous voulions construire, nommé plus tard, dans le sillage de Ricardou, "théorie-fiction".


Date de création : 15/12/2012 16:37
Dernière modification : 15/12/2012 16:59
Catégorie : La revue - Livrer nos clés
Page lue 7096 fois