Une pensée critique
par Josette Marty-Minière
Une pensée critique est toujours une pensée singulière, quand il s’agit d’écriture, c'est l'écriture d'un sujet dont il est question, d'un sujet écrivant ;
avec un sujet écrivant, créant, une vision singulière du monde arrive, questionne, prévient. Il y a dans toute écriture, une pensée prémonitoire. Proust écrit fort simplement "... voici que le monde, qui n'a pas été créé une fois, mais l'est aussi souvent que survient un nouvel artiste, nous apparaît - si différent de l'ancien - parfaitement clair".
Le sujet écrivant, est-il un artiste ? La réponse est du côté du sujet, à lui de décider. A chaque moment du Temps, des choses meurent et d'autres naissent. Nous en recevons des messages, des télégrammes. Des artistes nous désignent des mutations, prennent le temps de les penser, les modéliser, prennent le temps de nous prévenir,
c'est peut-être sur cela que nous alerte Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont: chacun de nous devrait être sensible aux mutations et ne pas laisser "Quelques-Grosses-Têtes-Molles", quelques écrivains publics nous adresser des lettres ou des nouvelles. Un poète gît en chacun de nous. Isidore Ducasse le sait, lui qui traversa l'infernal labyrinthe des formes littéraires du XlXème siècle revêtu du pseudonyme de "Comte de Lautréamont", chantant MALDOROR. Après cette traversée fantastique de textualité, Isidore Ducasse naît à lui-même et écrit ses "POESIES". Dans "Poésies II", I.D. énonce son projet : "La science que j'entreprends est une science distincte de la poésie. Je ne chante pas cette dernière. Je m'efforce de découvrir sa source."
Des exégètes ont tenté de cerner à partir de quels emprunts et quelles références écrit Lautréamont. Pour nous qui sommes engagés dans des pratiques d'atelier d'écriture, l'expérience ducassienne est un appui pour penser l'atelier d'écriture.
Ne pourrait-on pas dire que le lycéen Ducasse, sorti de sa classe de rhétorique, s'est construit un dispositif d'écriture du type "Plagiat" pour naître à l'écriture dans son nom Isidore Ducasse.
Dans son projet : "découvrir les sources de la poésie", M. Pleynet souligne que la démarche d'écriture d'Isidore Ducasse fait tomber des concepts ; le concept d'auteur, le concept de livre, celui d’œuvre comme originalité, celui de littérature au sens de Belles-Lettres.
Mort prématurément, quelle science aurait ordonnée Isidore Ducasse ? Quel en aurait été l'objet construit ?
"Nous travaillons à conserver cet être imaginaire qui n'est autre chose que le véritable."
Isidore Ducasse, POESIES II
"Cet être imaginaire qui n'est autre que le véritable" est-il le sujet écrivant qui gît en chacun de nous à la recherche de vérités ?
Dans l'atelier d'écriture, nous avons à soutenir deux pôles d'une contradiction :
PREMIER POLE : L'atelier d'écriture comme espace du Plagiat dans tous ses états, traversées des formes littéraires et des noms propres de la littérature.
DEUXIEME POLE : L'atelier d'écriture comme lieu du sujet écrivant qui naît à lui-même, dans le nom qu'il se choisit - ou ne se choisit pas - naissance du UN, cet être imaginaire qui n'est autre que le véritable.
Dans beaucoup d'ateliers d'écriture, tels que nous les engageons, la plupart des textes écrits restent anonymes - sans nom.
N'est-ce pas cela, la première naissance, le sans-nom, le premier temps de la naissance, débarrassée de l'état civil, dirait M. Foucault.
Le second temps de la naissance à l'écriture est la lecture du blanc du sans-nom, le troisième temps est celui du nom qui écrit, qui advient... Dans l'atelier d'écriture, les sujets écrivants prennent peur dans le second temps, devant la lecture du blanc du sans-nom, devant une place laissée vide.
Quelle est alors notre responsabilité, Si notre conviction est installée :
"LA POESIE DOIT ETRE FAITE PAR TOUS".
Peut-être là, à ce temps du texte, faut-il employer un procédé ducassien et interpeller le lecteur :
- Lecteur ! Vois-tu que j'élude le "Non par un." et d'ailleurs que veut dire TOUS ?
TOUS, dans notre conception de l'atelier d'écriture, les "tous", ce sont les "chacun" comme le souligne souvent I. Ducasse, s'adressant à son lecteur, ce sont les "UNS", comptés de l'atelier - comptables de leur imaginaire singulier, travaillant les mots de l'imaginaire collectif.
Un danger guette :
Nous devons revisiter la proclamation de Lautréamont. Lautréamont n'a pas connu les chemises noires ou brunes, n'a pas connu la confusion des langues et des langages dans le TOUT de l'Imaginaire Collectif.
Alors nous devons réécrire:
LA POESIE SERA FAITE PAR TOUS.
OUI PAR I + 1+ I + 1 + ... + ... +
OUI PAR I + 1+ I + 1 + ... + ... +
La poésie écrite par une horde unique, une horde de sauvages, non policée par les Belles-Lettres, une horde barbare.
Mais qui veut être le sauvage ou le barbare dans une société donnée quand la société nous enseigne le rôle du caméléon? Mais qui veut être l'artiste ?
Qui veut prendre le temps, le temps du troisième temps de l'écriture, du nom qui s'écrit dans une création ?
Pourquoi avons-nous besoin de l'écrivain public, de ce rôle social de l'écrivain, du poète, de l'artiste ?
Chaque lecteur, chaque sujet, chaque sujet écrivant sait implicitement que la vision singulière du poète, de l'artiste lui renvoie l'image de sa propre singularité - du - UN.
Alors pourquoi transgresser les limites de l'atelier d'écriture et s'exposer seul à la patience de l'écriture, de la création ?
Il y a deux sortes de détracteurs à l'atelier d'écriture :
- la première sorte : ceux de l'idéologie dominante qui piaffent de voir mis à mal les poncifs d'originalité, d'inspiration, de belles lettres.
- la deuxième sorte : ceux qui nous disent que nous entretenons la mystification sur la création car nous laissons les participants des ateliers dans le confort du groupe, des références, leur évitant l’exposition à la patience de l'écriture.
- la première sorte : ceux de l'idéologie dominante qui piaffent de voir mis à mal les poncifs d'originalité, d'inspiration, de belles lettres.
- la deuxième sorte : ceux qui nous disent que nous entretenons la mystification sur la création car nous laissons les participants des ateliers dans le confort du groupe, des références, leur évitant l’exposition à la patience de l'écriture.
Nous sommes renvoyés à des choix singuliers, nous pouvons simplement énoncer, proclamer :
L’ECRITURE POUR CHACUN EST POSSIBLE !
publié dans S&C n° 15 (1991)
Date de création : 13/06/2007 23:54
Dernière modification : 14/12/2012 23:26
Catégorie : La revue - Textes en débat
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