2.Atelier impromptu à Collioure

ATELIER IMPROMPTU
COLLIOURE, 31 décembre 1989



Le comité de rédaction se réunit à Collioure en cette fin d'année 1989, accueilli par le maire Michel Moly, pour un séminaire. L'occasion pour proposer un atelier public d'écriture aux habitants du village et aux promeneurs du Boramar, le long du port.

(pour lire les textes produits, cliquer sur les images)


Relever ce défi. Provoquer à l'écriture plusieurs centaines de personnes, venues en famille pour une promenade de quelques dizaines de minutes sur le port de Collioure et qui n'ont aucunement à l'esprit le projet d'écrire.

Mais encore plus défi. Tenter de faire partager le sens de l'acte d'écrire, dévoiler le dessous-des-cartes de l'écriture. Faire la démonstration en vraie grandeur que quiconque peut s'emparer du projet d'écrire : dès lors que la provocation est assez violente pour en restaurer le désir refoulé, premier étonnement ; en même temps qu'elle lui sert les moyens de le réaliser, second étonnement.

Les conditions sont rassemblées : il fait une douceur de printemps ; les gens sont en repos ; les animateurs sont en nombre et peuvent ainsi se déployer à l'entrée de la promenade, en saltimbanques de l'écriture ; ils ont préparé le coup, nous allons voir comment.

Plusieurs centaines de personnes vont se croiser sur le port, après le goulet d'étranglement. C'est là qu'il faut les cueillir, les étonner d'abord par quelques textes lus à forte voix, ou susurrés à l'oreille. Si l'accroche est bonne, nous pourrons au mieux les distraire de leur projet initial (un aller-retour sur le port, la plage et la jetée) pendant une vingtaine de minutes : la proposition d'écriture doit être à la mesure de ce cadre-là et de ce temps-là. C'est la condition pour qu'ils acceptent le défi et qu'ils y réussissent.

Les inducteurs sont présents : quelques textes écrits par les animateurs pour l'occasion ; et le décorum (le port, la mer, les mouettes, les rochers, les vagues, les barques catalanes…).

Il fallait un dispositif qui réassure : nombre de nos "invités" n'avaient jamais récrit de poèmes depuis une parfois lointaine enfance, qui plus est, scolaire.


Nous avons choisi de leur proposer une forme familière, ludique, éprouvée pour son caractère libératoire : l'acrostiche.

Nous avons mis à leur disposition un espace d'écriture restreint (un quart de feuille), déjà largement occupé :

  • En son recto, par un texte disponible pour des emprunts d'une part, par une invitation à prise de notes d'autre part : "Vous vous promenez sur le port… Notez 4 mots ou expressions qui vous viennent à l'esprit". Quatre mots ou expressions : la tâche est modeste, mais celui qui s'y laisse inviter a mis le doigt dans l'engrenage. Car "la graphie excite sourdement le désir d'écrire".

  • En son recto, la "proclamation violente" de Lautréamont : "La poésie sera faite par tous. Non par un" ; associée au micro-dispositif d'écriture suivant : "Ecrivez un texte en utilisant tous les mots et expressions que vous avez notés, ainsi qu'un fragment emprunté à l'acrostiche qui figure au dos. Contrainte : chaque vers commence par une lettre du mot ci-dessous" (écrit comme il se doit verticalement). Le mot choisi, différent d'un feuillet à l'autre, appartient à la liste du décorum, évoquée plus haut.
On remarque que l'espace à écrire, dans sa réduction, écarte le risque de "l'angoisse de la page blanche". Il est balisé, déjà largement occupé. Pourtant, les feuillets rendus par les participants à l'issue de l'atelier seront presque toujours griffonnés dans les marges, chacun s'étant autorisé au geste brouillonnant que relever le défi suppose.

Il faut cependant évoquer la conduite d'animation, dans une dialogie permanente entre les gens et les textes : les animateurs qui accompagnent, précisent le dispositif, s'expliquent à la demande sur les pourquoi et les comment ; les textes qui s'affichent en grand format sur les devantures des cafés ; les écrivants qui se mêlent à l'animation, lisant à haute voix, distribuant à leur tour les feuillets, convaincus par la démarche ; les commentateurs des écrits ; ceux qui n'ont pas écrit, mais s'osent à déclamer un texte d'eux ou d'un autre, illustre ou inconnu ; les traducteurs (anglais, catalan, espagnol, néerlandais) ; ceux qui ferraillent (jusqu'à la nuit avec le curé, avec l'érudit local, le catalaniste) sur la grammaire catalane ou une traduction qui fait débat.

Il faut encore citer les conduites d'écriture : seul ou à deux ; en famille, quatre ou cinq se partageant la création d'un texte ; ceux qui écrivent en marchant, allant jusqu'à la jetée et déposant leur texte au retour ; ceux qui s'asseoient pour un très long moment, écrivent ou non, écrivent et observent, se m
êlent à la fête de cent façons ; ceux qui demandent une aide, un mot ; qui cherchent un appui ; ceux qui doivent être encouragés, valorisés dans un premier texte osé ; ceux qui n'avaient jamais écrit, qui ont produit et qui vont emporter leur texte pour le montrer aux voisins, aux amis ; ceux qui n'y croyaient pas et qui l'ont fait (dix-sept ans après j'y suis encore, dans cette émotion, cette joie, cette fierté de ceux-et-celles-là). HT

Date de création : 01/05/2007 19:13
Dernière modification : 25/08/2008 19:29
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