Bleu
Le comité de rédaction de la revue invitait en 2019 ses contributeurs et contributrices à une suite de trois : Bleu, Blanc, Rouge.
 Pour Bleu, les dispositifs de création ci-dessous étaient proposés. le numéro (129 de la revue) a vu le jour en avril 2019.
BLEU, BLANC, ROUGE, TRILOGIE
Tout a une couleur.
Il y a le bleu des horizons à caresser, le blanc de nos pensées absentes, le rouge des colères en mouvement ; le bleu des coups reçus, le blanc de l'impensé naissant, le rouge des soirs finissants ; le bleu de nouvelles impatiences, le blanc des linceuls cachés, le rouge des ivresses coupables.
Réouvrir la trilogie Bleu, blanc, rouge, invite à l'idée que nous sommes inscrits au monde, laissant se déployer ce que chaque couleur implique dans son, dans notre rapport au monde.
Blanc de rage ou rouge de colère ? Blanc d'effroi ou saisi d'une peur bleue ? Tout a une couleur.
Bleu, blanc, rouge, trois états de l'Homme, de ses émotions, trois saveurs de notre être aux tremblements du monde. Pour une écriture qui s'inscrira, successivement, dans un réel aux trois couleurs.

VERS LE BLEU DE LA NUIT
Dispositif d’écriture imaginé par Claude Niarfeix
Nous connaissons tous cette zone moyenne où les songes nourrissent nos pensées et où nos pensées éclairent nos sens...
Gaston Bachelard
1.       La couleur bleue évoque-t-elle pour nous un souvenir diffus qui     flotte   dans une rêverie somnolente ? Elle va se présenter à vous sous     trois   aspects différents : un visage, une musique, un lieu inhabituel.
2.       Vous pourriez, à partir de ce postulat de départ, constituer un    stock    de mots, disons une dizaine ; et d’expressions, disons deux ou    trois.    Pour les trois mots que vous ressentez comme les plus    intrigants,    lancez-vous dans une exploration : a/ par association    d’idées ; b/ en    triturant les lettres, les sonorités de ces mots,    leur matière.
3.    Alors vous élaborez un premier texte    chaotique où l’inconnu et/ou    l’incongru affleureront. Mais vous aurez    pris soin auparavant d’étranger certains des mots et expressions (rassemblés dans la mission 2) en les assombrissant.
4.       Puisque le bleu est aussi le chemin qui mène de la rêverie au  rêve,      reprenez votre texte, extrayez-en tous les substantifs et,  chaque   fois    que vous le pouvez, chercher le mot qui est dans  l’ombre de   celui que    vous considérez. Disons cinq ou six mots.
5. Vous en arrivez lentement au bleu profond. Alors réagencez ce dernier matériau en opérant une dématérialisation, ou, plus simplement, un bouleversement du sens apparent.
6.       Écrivez alors un deuxième texte : n’avez-vous pas en tête     l’insistante   antienne selon laquelle tout être, à son terme, s’en va     vers le bleu de la nuit, vers le silence et vers la pluie.
Pour       éviter la répétition de ce mot dans le numéro qui rassemblera  leurs      textes, il est vivement conseillé aux auteur-e-s d’utiliser  le  moins     possible le mot BLEU. Voire de l’éviter.
L’INEXPÉRIENCE
dispositif imaginé par Yves Béal
« Les jeunes sont toujours prêts à donner à leurs aînés le bénéfice de leur inexpérience. »
Oscar Wilde
Il s’agit de faire quelque chose dont on n’a pas ou très peu d’expérience.
1. Prélever un fragment de quelques lignes dans un ouvrage « loin de soi » (par exemple langue étrangère inconnue, ou langage spécialisé dans un domaine pour soi difficile à comprendre ).
2. Traiter ce fragment sans se soucier du sens mais comme une matière à scruter d’une manière qui ne nous est pas habituelle : par exemple de droite à gauche, de bas en haut Retenir de cette scrutation, des mots ou des bribes qui émergent de cette matière.
3. Tisser ces mots et bribes en un premier texte.
4. Traiter ce premier texte comme on a traité le fragment premier (voir 2).
5. Avec la nouvelle matière dégagée, mots et bribes, écrire le second texte.
6. Éclairer ce texte d’une citation (réelle ou inventée) en rapport avec cette problématique du bleu : l’inexpérience.
FAIRE BLEU ET LE DIRE
Propositions imaginées par le collectif Soleils & cendre
Ce dispositif d’écriture-réécriture est à géométrie variable. 
Nous   avons identifié deux sources susceptibles d’en constituer la charpente  :  la première est un extrait du texte de Jean-Michel Maupoix, Le bleu ne fait pas de bruit, publié en 1993 au Mercure de France (voir ci-dessous) ; la seconde est l’article Catégorie : bleu de Wikipedia qui énonce 48 teintes de bleu (lien ici).
Le bleu ne fait pas de bruit.
C'est   une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se   jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge, mais  qui  l'attire à soi, l'apprivoise peu à peu, le laisse venir sans le   presser, de sorte qu'en elle il s'enfonce et se noie sans se rendre   compte de rien.
Le bleu est une couleur propice à la disparition.
Une   couleur où mourir, une couleur qui délivre, la couleur même de l'âme   après qu'elle s'est déshabillée du corps,  après qu'a giclé tout le sang   et que se sont vidées les viscères, les poches de toutes sortes,   déménageant une fois pour toutes le mobilier de ses pensées.
Indéfiniment, le bleu s'évade.
Ce   n'est pas, à vrai dire, une couleur. Plutôt une tonalité, un climat,   une résonance spéciale de l'air. Un empilement de clarté, une teinte qui   naît du vide ajouté au vide, aussi changeante et transparente dans la   tête de l'homme que dans les cieux.
L'air que nous respirons,   l'apparence de vide sur laquelle remuent nos figures, l'espace que nous   traversons n'est rien d'autre que ce bleu terrestre, invisible tant il   est proche et fait corps avec nous, habillant nos gestes et nos voix.   Présent jusque dans la chambre, tous volets tirés et toutes lampes   éteintes, insensible vêtement de notre vie.
Jean-Michel Maulpoix © Mercure de France, 1993
Vous trouverez ci-dessous, référées à ces deux documents, six pistes d’écriture ou de réécriture.
PISTE 1 :
Partir   d’un texte personnel et le soumettre à une des trois contraintes   suivantes de réécriture, empruntées au texte de JM. Maulpoix :
- Le bleu ne fait pas de bruit
- Le bleu est une couleur propice à la disparition
- Indéfiniment, le bleu s’évade
Le   sens se construira autour d’une de ces propositions. Il est bien sûr   recommandé d’appliquer successivement les trois propositions.
PISTE 2 :
Les   trois suggestions de JM. Maulpoix font écho et images. Elles amènent à   une compilation de mots par associations d’idées. Ceux-ci sont  agencés,  de mots en fragments, puis de fragments en texte.
PISTE 3 :
Le bleu ne fait pas de bruit   : alors, par contre-pied, quels seraient les bruits du bleu ? On   explore, sur le versant matériel de la langue, l’hypothèse des bruits du   bleu. Cette matière va nous conduire à l’écriture d’un premier texte.
Le bleu est une couleur propice à la disparition : dès lors pourquoi ne pas faire disparaître du texte, tous les B  puis tous les L. Un lipogramme en B et L est ainsi obtenu.
Indéfiniment,   le bleu s’évade : à partir du nuancier des bleus, on choisit les   teintes qui nous parlent (les mots qui les désignent), à partir   desquelles on construit des anagrammes (complètes ou approximatives)   dont la matière va alimenter l’écriture d’un nouveau texte.
Le bleu ne fait pas de bruit : doucement, nous allons entrelacer les deux textes obtenus précédemment, et ainsi construire notre texte final.
PISTE 4 :
Il   s’agit de partir d’un texte d’auteur (ou un extrait) et de le  soumettre  à 5 ou 6 réécritures successives au moyen de contraintes  issues du  texte de JM. Maulpoix et du nuancier.
Contrainte 1 : Le bleu ne fait pas de bruit (réécriture de silence du texte original pour une forme transformée du texte original)
Contrainte   2 : On applique une nuance de bleu au choix, cohérente avec l’esprit  du  texte transformé et susceptible d’en renforcer l’esprit. On obtient  un  nouveau texte.
Contrainte 3 : Le bleu est une couleur propice à la disparition (nouvelle réécriture, de disparition cette fois).
Contrainte   4 : À ce nouvel état du texte, on applique une deuxième nuance de  bleu,  cohérente avec l’esprit qui s’en dégage désormais. On s’attache  dans  cette phase à structurer le sens.
Contrainte 5 : Indéfiniment le bleu s’évade. Nouvelle réécriture en utilisant cette phrase comme contrainte. En même temps, on densifie le sens.
Contrainte   6, si et seulement si nécessaire : On applique une troisième nuance de   bleu au texte obtenu, dans le seul but d’en renforcer le sens.
PISTE 5 :
À   partir de chacun des paragraphes du texte de JM. Maulpoix, on laisse   venir des mots, des bribes, qui peu à peu s’organisent en trois textes   de quelques lignes.
Puis on tire au sort trois nuances de bleu qu’on   va travailler par association d’idées. Après quoi, au sein de la  matière  produite, par un nouveau tirage au sort, on va rassembler, à  partir de  quelques-uns des mots obtenus, un matériau complémentaire :  cette fois  dans la matérialité de la langue.
Chacun des trois textes  obtenus en  phase première sera retravaillé avec l’une des trois  couleurs et en écho  à l’une des propositions de JM. Maulpoix. Avant  d’être fondus en un  texte unique.
PISTE 6 :
On s’imprègne du  texte de JM.  Maulpoix. On se l’approprie à sa façon pour une  déclinaison du bleu en  cinq jets brefs, cinq fragments.
On va  maintenant insuffler,  injecter, dans chacun de ces fragments, une  nuance de bleu, celle qui  semble le mieux correspondre à chacun d’eux.  Cinq fragments, cinq  nuances.
Pour cela et pour chaque nuance  choisie, on explore la  langue, par association d’idées. C’est la  matière ainsi obtenue qu’on va  insuffler au cœur de chaque fragment  afin d’y renforcer la matérialité  du bleu, l’impression de bleu.