Yves Béal (07.1996)
Question à la critique (4)
Choisir la solitude du bien et du mal pour renvoyer en une définitive séparation l’objet (artistique ou pas), c’est le ranger sommairement au classement banal de l’accessoire (blanc-noir).
Bien fermer les tiroirs idéologiques ; rajouter l’étiquette contrôlée par bien-penseur parisien : les jugements de Cour feront ou déferont votre gloire.
Je ne suis pas culturellement vierge. Et je cherche les comment des alternatives à ce regard sur l’Art qui se veut justicier.
Il y a sans doute des réponses politiques : si l’Art (théâtral ou autre) était (encore ?) service public, les créateurs auraient-ils besoin de se vendre aux plus offrants à coups de press-books volumineux ? Pleins pouvoirs aux bien-penseurs !
Il y a sans doute aussi des réponses individuelles : je suis libre de recevoir et de redéfinir moi-même (quelles que soient les intentions de l’auteur) le propos comme une balise parmi les balises. J’oublie que la critique se veut feu de signalisation.
Il y aura toutes les réponses collectives au-delà des folklores quand les mots des uns rencontreront les mots des autres et que l’interculturalité aura un sens.
Il y a déjà, ici ou là, des baladins de notre espèce qui tentent de semer des graines éphémères et provisoires à faire circuler de mains en mains.
Choisir pluriel pour dire l’objet (artistique ou pas), en toucher les multiples facettes, le recentrer en toute équité à sa place universelle.
Une critique comme un ballon gonflé de vie en perpétuelle demande d’évolution.
Ne plus trancher par le juste milieu. Faire rebondir au-dessus de perches tendues.
Monique Poudroux (07.1996)
Question à la critique (5)
L’enfant qui vient de naître porte sur le monde un regard critique ; c’est à dire qu’il s’invente ses sens en lisant les autres et leurs actions.
Quel clone deviendrait-il s’il s’agissait pour lui d’engranger des références révérentes avant de s’oser voyant ? Il en demeurerait à jamais voyeur, c’est sûr.
La critique quand elle signe des mises à mort, quand elle saigne à demi-mots, nous clone à l’infini avec notre bénédiction.
Alors se fait entendre, une autre voix, l’envie d’un vide avant, d’un œil neuf sans ligne préécrite et elle, la garce, s’accommode facilement de ce besoin urgent de regard nouveau, n’ayant jamais servi !!
Qu’à cela ne tienne… laissons le spectateur nouveau-né cloné par mille et une ruses...
Mais cet asservisseur volontaire se méfie de ceux qui continuent de grandir par les yeux, par la bouche, par la main, par la rage qui leur permet de vivre encore et encore.
Alors l’avoir lue ou pas, avant ou après, je m’en fous après tout quand il s’agit pour moi d’avancer à travers l’ire et la larme, d’inventer la parole comme sœur du vent, de me planter là où cet autre vite servi d’air vil, invite plutôt l’oubli et le vide.
Marie-Pierre Canard (07.1996)
Question à la critique (6)
PETITES DÉFINITIONS POUR UN COUP DE TRIQUE
A L’ART DES CRITIQUES
Les “experts” s’attachent à flécher les parcours : le spectateur rassuré accomplit sans risque sa moisson cultureuse.
Les exégètes savants assènent leurs références : le spectateur dépossédé leur doit sa déférence.
Spectateur ? Comment prendre sans donner ?
Oser changer de rôle en prenant la plume : passer de l’état de spectre face à l’acteur à l’état de spect-acteur.
S’autoriser : s’oser auteur. L’écriture autorise le spectateur ; elle le pose, dans l’égalité, à l’égard de l’acteur.
L’écriture est acte politique : elle rend sa part de pouvoir au spectateur.
L’écriture lutte contre la solitude du spectateur du fond.
Au-delà de l’éphémère du jeu, l’écriture trace des regards pluriels, crée le Je singulier et en prolonge l’écho.
On n’écrit pas sur, ni pour, ni contre un spectacle, mais dans et avec lui : ni juge ni censeur, mais voleur de sens.
La critique doit être faite par tous ; non par un.
Marie-Pierre Canard
Claude Niarfeix
Henri Tramoy
Question à la critique (7)
CAPTURES ? INSOUMISSIONS ?
Faut-il renoncer, être absorbée comme sexe à louer, mutilée de mon histoire dans le respect spécialisé du culte des autres ?
Je refuse l’impuissance de l’espace et du temps.
Je veux être révolution en rêves et actions, sans label d’oubli sur lequel rebondir.
Je veux m’argumenter dans l’autre, vectoriser chaque regard vers le réel reconstruit.
Chantal Bélézy
Question à la critique (8)
LANGUE ET PENSEE
Il importe de faire vibrer la langue. On sait qu’un mot, nu, n’a aujourd’hui plus le même sens pour un individu ou pour un autre, ou, du moins, si les sens en sont identiques ou fusionnels, qu’ils ne recoupent, recouvrent pas le même corpus de concepts intégrés.
Il importe de faire vibrer la langue, chaque mot, pour, par cercles concentriques, créer les conditions de l’intersection (tout du moins, des points d’intersections ), c’est à dire de la rencontre. Alors, encore, la critique comme mise en œuvre et aussi mise en mouvement d’une pensée de transhumance qui s’élabore, se construit, s’organise à mesure qu’elle repeuple ses drailles. Elle devra immanquablement s’appuyer (sans s’arc-bouter) sur le trésor ambigu (peut-être parce que brut) de l’émotionnel, de l’irrationnel, de l’imaginaire (dans une dialectique de l’individuel au collectif).
En plus de cet étai basique, il lui faudra aussi intégrer, mais à un niveau moins intimement mythologique, la propre histoire réappropriée des groupes sociaux et des communautés culturelles civilisatrices (pensons à l’histoire de l’identité occitane en tant que pensée de la décolonisation universelle). Tous ces soubassements une fois isolés, répertoriés, mis en cohérence (fonction partiellement théorisante), mis en connivence au carrefour contradictoire de l’aléatoire et du contraignant, pourraient fonctionner comme contre-poids aux évidences référentielles imposées par la culture et l’idéologie dominante puisqu’il apparaît de plus en plus que cet autre corpus, terrorisant, englue de fait toute création dans une symbolique abâtardie et vulgarisée pour consommation immédiate, réductrice et normative. Urgent, réinvestir le champ du réel, c’est à dire, s’oser au rêve, à l’utopie, travaillés et retravaillés par la langue (la langue n’accouche que quand elle est en travail) ; c’est à dire, procéder violemment à un retournement sans précédent de la pensée imposée qui somnole et nous fait somnoler dans l’indolence d’une langue (donc, d’une pensée) cravatée jusqu’à la glotte.
Claude Niarfeix (07.1996)